Outre le recueillement, la ferveur et le flot d’hommages, des historiens et essayistes ont d’abord regardé ces deux moments comme un glissement socio-politique d’importance.
Dans les colonnes du Monde, Régis Debray remarque ainsi que la figure du « héros » contemporain ne représente plus «celui qui se sacrifie pour sa patrie ou pour une cause, mais celui qui se fait voir et entendre de tous». Lorsqu’Emmanuel Macron écrit dans son message de condoléances que «nous avons tous en nous quelque chose de Johnny Hallyday», écrit Régis Debray, «il franchise à travers sa meilleure incarnation, le rêve américain en chair et en os, attestant ainsi qu’un beau destin français suppose désormais ‘’quelque chose de Tennessee’’».
«Cette foi élémentaire s’exprime à travers tous ces gestes de fraternité, de solidarité, d’amitié, que Johnny savait si bien chanter. Une piété populaire qui réunit bien davantage d’hommes et de femmes que les chrétiens ‘’confessants’’, s’inscrivant dans un ensemble de symboles et de rites»
Pour l’historien Patrick Garcia, l’interprétation symbolique de ces deux obsèques compte. Ce dernier estime en effet toujours dans « Le Monde » que l’hommage d’Emmanuel Macron à Johnny Hallyday manifeste sa compréhension de «l’émotion publique, lui conférant une haute signification».
«En rendant hommage à Jean d’Ormesson, expression d’une certaine France un brin surannée mais réputée spirituelle et en composant la formule d’hommage populaire pour Johnny Hallyday, célébré lui aussi comme un visage de la France, personnages qui sont en même temps tous les deux des figures de l’ordre et de la légitimité, Emmanuel Macron entend faire fructifier son capital symbolique», a ajouté l’historien.
Des homélies aux accents métaphysiques et poétiques
Deux funérailles qui ont donné lieu à deux homélies, dont la beauté et la pertinence ont été soulignées et relevées à maintes reprises, et dont l’écho a dépassé le cercle restreint de fidèles catholiques pratiquants à même de les recevoir habituellement.
Le père Matthieu Rougé, curé de la paroisse Saint-Ferdinand des Ternes, a prononcé une homélie concentrée sur le sinueux chemin spirituel de Jean d’Ormesson.
«Toute vie humaine constitue comme un «itinéraire de Paris à Jérusalem» pour reprendre le titre de Chateaubriand dont Jean d’Ormesson a si souvent et si bien parlé : un itinéraire du Paris de la culture, de l’élégance et des lumières terrestres vers la Jérusalem céleste, la Jérusalem de joie et de paix, la Jérusalem d’éternité où s’éclaire enfin le mystère du temps sur lequel Jean d’Ormesson s’est tant interrogé. (…) En dépit des apparences, le Christ ne nous accompagne pas du berceau au cimetière mais nous appelle à sortir progressivement des tombeaux de nos peurs, de nos étroitesses, de nos certitudes trop faciles pour entrer dans la plénitude de sa vie. La marche de l’existence de Jean d’Ormesson, comme celle du « juif errant » de son roman, va pouvoir maintenant s’achever dans ‘’un hosanna sans fin’’», a déclaré le père Rougé.
Quant à l’homélie de la Madeleine, suivie par près de 7 millions de Français, et prononcée par Mgr Benoist de Sinety, vicaire général de l’archidiocèse de Paris, elle s’est focalisée sur l’amour.
«Que sont, pourtant, nos vies sans l’Amour? Non pas l’amour éphémère d’une passion aussi intense que fugace, non pas l’amour égoïste et narcissique, mais l’Amour véritable qui nous fait reconnaître dans l’autre un frère à aimer, l’amour exigeant qui nous invite à aimer comme Jésus lui-même a aimé. Lequel d’entre nous ne mesure l’infini vide que procurent, au bout du compte, les objets de ce monde pour lesquels nous déployons pourtant tant d’efforts et d’énergie?», a interrogé le père de Sinety devant un parterre de 150 célébrités, officiels et amoureux du chanteur.
«Toute vie est mortelle mais ce qui ne meurt jamais c’est l’Amour: l’amour dont nous avons été aimés et l’amour dont nous aimons: ces liens tissent en chacun de nous un être spirituel immortel, éternel. Ces liens nous mettent dans une communion de plus en plus intime avec Dieu même; ils nous divinisent. La vie de Johnny Hallyday, parce qu’elle a manifesté l’Amour, y compris dans ses pauvretés et dans ses manques, nous invite à lever les yeux vers Celui qui en est la source et l’accomplissement. »
Le catholicisme comme ultime trait-d’union
Jean-Pierre Denis de l’hebdomadaire français La Vie dans son éditorial « Johny, notre plus grand missionnaire », a ainsi assimilé la jour des funérailles du chanteur à un «grand, énorme et abracadabrantesque moment d’évangélisation populaire. Depuis quand, déjà, l’Église n’avait-elle pu parler à tant de peuple de tant de choses importantes ? (…) Retenez cette date : le 9 décembre 2017, en la solennité de la Sainte-Laïcité et à la suite de l’apôtre Johnny Hallyday, des millions de Français sont entrés non pas dans une église, mais dans leur Église. Un pèlerinage, invraisemblable dans un pays aussi post-chrétien que le nôtre.»
«Les obsèques de Johnny auront marqué la persistance et la vitalité d’un catholicisme qui, pour n’être plus officiellement d’État le demeure de facto, comme ultime recours. Un catholicisme qui reste la langue qui sait le mieux nous dire», a poursuivi le directeur de l’hebdomadaire.
En ces occasions, l’Église a ainsi retrouvé son rôle sociétal d’antan, refuge et rempart face à la mort… Sur son blog Isabelle de Gaulmyn du journal La Croix évoque la «foi élémentaire» que le théologien Christoph Théobald développe dans son dernier livre L’Urgence pastorale.