Il y a un aspect de la Passion de Jésus qui est le cœur de la passion. C’est sa souffrance intérieure, la souffrance qu’Il a vécu au plus profond de lui-même. Oui, parce qu’il y a eu dans l’histoire de l’humanité des hommes qui ont souffert physiquement plus que Jésus. Mais non dans le cœur. Jésus, justement parce qu’il est Dieu, a souffert en des dimensions infinies. Il y a eu des saints qu’ont eu leur conversion définitive justement en étant saisis par le mystère de la douleur infinie de Dieu. Ste Thérèse D’Avila a eu son cœur transpercé en regardant une statue du Christ souffrant. Elle s’est mise à pleurer et ensuite elle a fait cette prière : « Seigneur, ne permets plus que je t’offense tant ! » Il n’y a que l’Esprit Saint qui connaît les profondeurs de cette souffrance, et il n’y a que lui qui peut nous convertir par ce mystère. Il faut demander son aide au début de cette méditation, pour que la contemplation de cet immense mystère ne soit pas vécue avec indifférence. Viens, Esprit Saint, engendre en nous le respect et l’amour nécessaires pour nous approcher du mystère même de notre salut.
Nous dit la Parole : « Il commença à être saisi, accablé de crainte et d’angoisse ». Les verbes au passif indiquent qu’il commence à accueillir Sa Passion. Il entre dans l’obéissance de la foi. Crainte, ici, est dans le sens d’être effrayé, épouvanté. Et l’angoisse, une angoisse « jusqu’à la mort », comme nous dit la traduction littérale. Jésus commence donc à recevoir sur soi toutes les souffrances intérieures de toute l’humanité, toutes les conséquences de nos péchés. « Jésus est seul, seul, comme celui qui se trouverait suspendu en un point perdu de l’univers où ses cris tomberaient dans le vide et où il n’y aurait d’aucun côté le moindre point d’appui. Jésus entre dans une sorte de nuit obscure de l’âme, qui consiste à expérimenter de manière intolérable, la proximité du péché (même s’il n’a pas péché) et, à cause de cela, l’éloignement de Dieu. » (Pe. Raniero Cantalamessa)
Les Paroles de l’Ecriture peuvent nous aider à voir un peu ce que Jésus a senti : « Il a été écrasé pour nos péchés » (Is 53,5) ; « Sur moi pèse ta colère, tu déverses sur moi toutes tes vagues ; Mon âme est rassasiée de malheur, ma vie est au bord de l’abîme ; pourquoi me rejeter, Seigneur, pourquoi me cacher ta face ? » (Ps 88). En fait, Jésus se sent désolé, comme si Dieu lui semblait perdu. Jésus se trouve de notre côté de pécheurs, séparés par un fossé terrible de la sainteté de Dieu (même s’il est lui-même Dieu !) ; Il souffre à un degré suprême de la lourdeur et de l’incapacité du pécheur à s’unir au « Père Saint ». Et Il fait cette expérience comme Dieu, voilà pourquoi cette connaissance est si terriblement lucide. Voilà pourquoi aussi sa solitude infinie. Il voit, de l’intégrale et distincte vision éternelle de Dieu, tous et chacun des péchés de tous les hommes. Jésus doit tout porter en Son cœur d’homme, de Verbe Incarné : comment ne serait-Il pas écrasé sous cette masse de noir !
Nous dit la parole qu’Il « tomba par terre » : c’est l’écrasement ; « la face contre terre » : c’est l’adoration ; « à genoux, Il priait » : c’est l’intensité de la supplication ; Il a prié trois fois, donc avec persévérance. Et sous toute cette souffrance, Jésus a crié : « Mon âme est triste à en mourir ! », telle était sa souffrance intérieure.
« Si c’était possible que cette heure passe… » le Roi des martyrs a souffert sans courage… Si c’était possible, bien sûr que le Père l’épargnerait cette souffrance. Mais la Passion, c’est le moyen pour sauver le monde ; et notre passion personnelle, nos souffrances de chaque jour, le seul moyen de nous sauver.
La victoire de Jésus est sur la faiblesse humaine devant la mort et sur la tentation satanique du Péché originel : Jésus a gagné notre liberté dans l’acte même de s’en remettre à un Père et Créateur (« Père, non la mienne, mais ta volonté ! »). Jésus est la proclamation vivante que notre liberté ne peut s’épanouir que si nous l’unissons à celle de Dieu, ou mieux, si nous faisons notre volonté, la volonté de Dieu, qui est toujours amour, même si, comme dans le cas de Jésus, « un amour jusqu’à l’extrême » (Jn 13,1), un amour qui nous conduit à la mort.
Cette sainte souffrance a la capacité de nous introduire dans la vie divine, l’amour de Dieu. Tout cela a été nécessaire « pour que fût détruit ce corps de péché » (Rm 6,6).
« Maintenant arrêtons-nous un instant sous la croix, pour embrasser, d’un seul regard, toute la Passion de l’âme du Christ et voir la nouveauté qui, à travers celle-ci, s’est accomplie dans le monde. Jésus, par sa passion, a réalisé ce grand mystère de piété, qui a renversé notre impiété, créant ainsi une nouvelle situation des hommes devant Dieu, ce que nous appelons le salut. » (Pe. Raniero Cantalamessa) L’innocent a souffert pour nous ! Après tout ce que nous venons de voir, et en sachant que le mystère de la Passion du Seigneur est encore beaucoup plus grand et intense que tout cela, peut-il avoir quelque chose d’impossible à Dieu qui l’empêche de nous rejoindre ? Faisons la joie de notre Dieu, accueillons-le dans notre cœur, demandons-Lui de venir avec tout son amour en nous, aujourd’hui, ce grand jour de l’amour de Dieu pour nous !
« Le Père en son Amour a voulu envoyer son Fils dans le monde ;
les méchants l’ont crucifié. Qui pourrait dormir ?
Ils l’ont jugé et condamné, jeté en prison et flagellé ;
Ils ont pris le roseau et l’ont battu. Qui pourrait dormir ?
Ils ont craché sur son visage, un esclave lui frappa la joue ;
Lorsqu’il parla, ils le condamnèrent. Qui pourrait dormir ?
Des chiens enragés ont assailli le lion pour le tuer.
Comme un coupable, il se taisait. Qui pourrait dormir ?
Le Soleil qui éclaire l’univers, ils l’ont conduit dans les ténèbres ;
Ils ont fermé les portes devant lui. Qui pourrait dormir ? »
(Tropaire de la liturgie orientale)
Daniel Ramos
Communauté Catholique Shalom